Aujourd’hui tournons nous vers la psychologie sociale pour comprendre un concept que je trouve majeur dans la parentalité et dans l’éducation de manière générale.
Il s’agit des prophéties autoréalisatrices aussi appelées l’effet Pygmalion (ou effet Rosenthal & Jacobson) lorsque leur effet est bénéfique. Leur antagoniste est l’effet Golem, vous savez lorsque : « t’es pas doué.e pour le sport » ; « il dérange toute la famille tout le temps avec son agitation» deviennent une réalité et/ou une croyance absolue. C’est cela le cercle vicieux des prophéties autoréalisatrices, à force de dire à une personne et d’autant plus à un.e enfant qu’iel a telle ou telle caractéristique, iel finit par se comporter de la manière dont on le décrit.
Le sociologue R.K. Merton définit : « la prophétie autoréalisatrice est une définition d'abord fausse d'une situation, mais cette définition erronée suscite un nouveau comportement, qui la rend vraie » (Merton, 1948, p. 195). Puis une définition plus large a été élaborée par la suite par Staszak (1999 a, p. 44) « une prophétie autoréalisatrice est une assertion qui induit des comportements de nature à la valider ». On pourrait faire un parallèle avec un biais cognitif appelé le biais de confirmation (« la tendance supposée des humains à sélectionner les informations qui vont dans le sens de ce qu’ils croient (ou veulent croire) et à interpréter celles dont ils disposent en faveur de leurs hypothèses favorites.") Vorms, M. (2021).
Dardenne, G. (2020) a étudié la question dans le cadre de l’école : « L’élève est en effet très sensible aux attentes de son professeur : si ce dernier croit qu’il peut réussir, alors il réussit ! C’est une « prophétie autoréalisatrice », ce que l’on appelle l’effet Pygmalion. L’inverse existe, c’est l’effet Golem : si l’entourage de l’enfant pense qu’il est limité, alors il échouera. Dans les deux cas, l’influence du regard de l’adulte référent est établie, le professeur étant comme un miroir. Pour Boris Cyrulnik, le maître est « tuteur de résilience » ; il permet à des enfants catégorisés jusque-là comme « vilains petits canards » de devenir de beaux cygnes apaisés ».
Nous pouvons mettre en lien ces concepts également avec celui de la menace du stéréotype. Il s’agit de « l'effet d'un stéréotype ou préjugé sur une personne appartenant à un groupe visé par ce préjugé : dans une situation où il s'applique, où il risquerait de se manifester, cette personne se sent jugée et éprouve des sentiments d'anxiété ou d'insécurité. De plus, une personne victime de préjugé a souvent peur de le confirmer elle-même et d'ainsi nuire à son groupe. » Wikipédia. Par exemple, lorsqu’une femme rate un créneau et éprouve alors la sensation de faire honte à au moins dix générations de femmes passées et à venir. Ou bien encore lorsqu’on dit que les hommes ne savent pas faire les courses et se perdent au supermarché et qu’un conjoint n’ose alors pas appeler sa compagne tandis qu’il ne trouve pas un des articles de sa liste.
C’est alors le moment pour moi de faire un petit aparté pour nous encourager à développer le Growth mindset (mentalité de croissance). Pour le définir, A. Godard, et al. (2023) résument, « Dweck depuis les années 1990 (voir Dweck, 2017 pour une mise en perspective historique) ont mis au jour l’existence de deux systèmes de croyance contrastés concernant la malléabilité des caractéristiques psychologiques humaines. L’état d’esprit fixiste (ou théorie implicite de l’entité) conçoit les traits psychologiques des individus comme des attributs dispositionnels stables et peu modifiables ou contrôlables. L’état d’esprit de développement (ou théorie implicite incrémentielle) les envisage à l’inverse comme des propriétés dynamiques du fonctionnement individuel, sensibles à de multiples influences et par conséquent susceptibles d’évolution. Pour Dweck, les états d’esprit pourraient constituer l’équivalent psychologique des différentes visions du monde identifiées par le philosophe Whitehead sur le plan épistémologique (Whitehead, 1938, cité par Dweck et al., 1995a, Dweck et al., 1995b). Dans une vision du monde statique, la réalité est constituée d’entités immuables que la science peut chercher à appréhender par leur mesure ; dans une vision dynamique, la réalité est constituée de systèmes de relations et d’interdépendance évolutifs, autrement dit de processus plus que d’entités ».
Benjamin Lille et Margarida Romero, précisent «cette pensée considère que le développement des compétences se produit à travers les efforts et notre façon d’aborder l’erreur et non seulement à cause des facteurs génétiques et biologiques. Si ce type de pensée peut ressembler à celles présentes dans des ouvrages ésotériques, son application et ses effets ont été observés scientifiquement. Les travaux de Dweck (Dweck, 2006 ; Yeager et Dweck, 2012) ont observé que les élèves considérant leur intelligence comme étant fixe étaient plus enclins à internaliser les erreurs, à éviter les défis, à abandonner plus rapidement, à se sentir menacés par le succès des autres, à diminuer l’importance des efforts et à être moins résilients. À l’inverse, les élèves considérant l’intelligence comme une faculté qui se développe ont plus tendance à aimer relever des défis, à valoriser les efforts, à considérer les critiques comme des chances d’apprentissage ainsi qu’à être inspirés par le succès des autres. »
Par ailleurs, Jérémie Blanchette Sarrasin et al. (2018) ont réalisé une méta-analyse de 10 études évaluées par des pairs, qui enseignaient la neuroplasticité pour induire un état d'esprit de croissance chez des participants âgés de 7 ans à l'âge adulte. Les résultats montrent que l'introduction d'un état d'esprit de croissance par l'enseignement de la neuroplasticité a un effet positif global sur la motivation, la réussite et l'activité cérébrale. Les résultats révèlent également que cette intervention semble plus bénéfique pour les élèves à risque, en particulier en ce qui concerne les résultats en maths.
Tous ces concepts ne sont pas sans rappeler la RFT (TCR en français, i.e théorie des cadres relationnels) ou comment le langage façonne nos comportements. Et là je reviens à la psychologie comportementale et contextuelle. On peut aisément imaginer comment au fur et à mesure des expériences de vie, nos réseaux relationnels se construisent. Dans l’exemple d’une prophétie auto-réalisatrice, cela pourrait donner quelque chose de cet ordre : « je suis nulle en calcul mental donc je suis nulle en maths; je vais pas réussir à jouer aux jeux de rôle il faut faire du calcul mental lorsqu’on jette les dés » etc, etc, le réseau se tisse et s’étend parfois même jusqu’à générer de l’anxiété de performance et/ou de l’anxiété sociale ou bien même de la résignation acquise. Martin Seligman, la définie comme une « réaction d’abandon où on jette l’éponge parce que l’on a la conviction que rien de ce que l’on fait n’aura un quelconque résultat » (La force de l’optimisme, p 35 à 36, Pocket, 2012).
Alors pour conclure, quel comportement souhaitons nous modifier, quelle est la fonction de la manière dont nous nous comportons avec nos enfants (et le langage/les mots que nous employons sont des comportements) ? Ils serait donc parfois utile de travailler sur le « quoi » plutôt que sur le « pourquoi ». Ce qui me permet de terminer sur l’école de Palo Alto et aux travaux de Bateson ou de Watzlawick « qui, soulignant les paradoxes de certaines volontés de changement, qui ne sont en fait que du désir masqué pour que rien ne bouge, proposent une réflexion sur comment sortir de ces impasses en s’intéressant à ce qui se joue en surface, le « quoi, quel est le problème ? », plutôt que d’aller directement creuser du côté des causes profondes, le « pourquoi ? ». » Dardenne, G. (2020).
Sources :
Dardenne, G. (2020). Échec scolaire. Une approche psychologique. Inflexions, 45, 117-123. https://doi.org/10.3917/infle.045.0117
Bronner, G. & Géhin, É. (2017). Les prophéties autoréalisatrices de la sociologie déterministe. Le Débat, 197, 132-136. https://doi.org/10.3917/deba.197.0132
Jérémie Blanchette Sarrasin, Lucian Nenciovici, Lorie-Marlène Brault Foisy, Geneviève Allaire-Duquette, Martin Riopel, Steve Masson,
Effects of teaching the concept of neuroplasticity to induce a growth mindset on motivation, achievement, and brain activity: A meta-analysis,
Trends in Neuroscience and Education, Volume 12, 2018, Pages 22-31, ISSN 2211-9493, https://doi.org/10.1016/j.tine.2018.07.003.
Sacha Parada. Mindset, bien-être et réussite académique : articulation de la mentalité malléable, du coping proactif et de la motivation dans un contexte d’accomplissement. Psychologie. Université de Nanterre - Paris X, 2020. Français. ⟨NNT : 2020PA100135⟩. ⟨tel-03767540⟩ https://theses.hal.science/tel-03767540/
A.Godard, T. Arciszewski, C. Énéa-Drapeau, P. Perret, Les théories implicites de l’intelligence : une question de perspectives ?, Psychologie Française, Volume 68, Issue 1, 2023, Pages 137-155, ISSN 0033-2984, https://doi.org/10.1016/j.psfr.2021.09.001.
Lille, Benjamin & Romero, Margarida. (2017). Les attitudes et les valeurs pour une éducation cocréative. 10.2307/j.ctt1vw0rkx.9.
Vorms, M. (2021). Bayes et les biais. Le « biais de confirmation » en question. Revue de métaphysique et de morale, 112, 567-590. https://doi.org/10.3917/rmm.214.0567
https://www.facebook.com/CalmeEtAttentifCommeUneGrenouille/videos/1349003132163870/
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